Alice Fabre, directrice des Chantiers du Cardinal et Christian Brunel-Laurent, de la Commission diocésaine d’art sacré
C’est une œuvre du sculpteur Charles Desvergne qui, en 1891, a réalisé un plâtre intitulé « Musique sacrée » pour le Grand Prix de Rome qu’il obtient cette année-là. Les usines Muller d’Ivry-sur-Seine (92) en tirent une copie en briques de grès flammé (les moules de cette usine ont été détruits pendant un bombardement lors de la Première Guerre mondiale). Quel est donc ce matériau très utilisé dans l’art nouveau, notamment par Guimard pour ses entrées du métro parisien ? C’est une argile cuite à très haute température (1 200 °C), qui prend à la cuisson une couleur assez foncée, entre gris et marron. Que voit-on dans cette céramique ? Une scène musicale dédiée au pape Pie X, rénovateur de la musique sacrée, au peuple du petit Charonne, quartier du XXe arrondissement de Paris. La sainte patronne des musiciens, en pied, vêtue d’une robe richement décorée, caresse de ses doigts délicats le clavier d’un orgue portatif. Autour d’elle, un chœur d’enfants et d’angelots aux fins cheveux bouclés lui présentent des partitions.
Le relief Sainte-Cécile à Saint Gabriel (Paris XXème)
Des religieuses charitables
Reprenons notre récit à l’implantation religieuse au Petit-Charonne, une fraction réduite et très déshéritée de l’importante paroisse de l’Immaculée-Conception, située principalement dans le 12e arrondissement, de l’autre côté du Cours de Vincennes. Elle commença par un dispensaire confié aux religieuses du Très-Saint-Sauveur et par une petite chapelle attenante, dédiée à Sainte-Cécile, au 81 rue de la Plaine, à l’emplacement d’un vieux hangar à pommes de terre. Le 8 juin 1913, le cardinal Léon Amette vint la bénir. À l’entrée de ce nouveau lieu de culte trônait en extérieur, installée sur son mur d’accueil, le fameux haut-relief. Cette modeste chapelle s’est inscrite dans un ensemble conçu par les Catholiques des Beaux-Arts comme une œuvre d’art totale, agrémentée de sculpture, de peinture et d’ébénisterie.
Des artistes cathos
D’où venait cette corporation ? D’une réaction face au style industriel saint-sulpicien, accusé d’être mièvre, d’uniformiser l’art et de nuire aux artistes chrétiens. Ce courant artistique, c’est celui de l’Union catholique des Beaux-Arts, mené par l’architecte Pierre Regnault et ses amis étudiants aux Beaux-Arts de Paris (quatz’art). Né au tout début du XXe siècle, ce mouvement a renouvelé l’approche de l’art sacré. Il donnera d’ailleurs naissance, dix ans plus tard, aux Ateliers d’art sacré de Maurice Denis et de George Desvallières, aux artisans de l’autel et à de nombreux cercles de cet univers dans l’entre-deux-guerres.
L’art sacré en plein quartier populaire
Revenons à ce quartier ouvrier dont la chapelle de secours se révèle trop petite.
L’archidiocèse de Paris décide alors de financer un lieu de culte plus vaste, à proximité, à l’emplacement d’une usine à gaz démolie en 1932-1933. Le cardinal bâtisseur Jean Verdier (celui qui est à l’origine de l’œuvre des Chantiers du cardinal) lance l’édification de la paroisse Saint-Gabriel, entre 1934 et 1935. Il y transfère une partie des œuvres de la chapelle dont le relief de Sainte Cécile, bien abîmé par les pluies acides. « Pour le déménagement, les briques ont été disjointes, déposées et remontées dans la chapelle du Sacré-Cœur de Saint-Gabriel, en utilisant du béton sans en respecter l’épaisseur initiale. L’objectif de la restauration est donc d’atténuer visuellement la présence de ces joints, de nettoyer le relief et de lui donner une cohérence colorimétrique, et de réparer les fêlures et les cassures des personnages », détaille Christian Brunel-Laurent. En tant que chargé de projet à la commission diocésaine d’art sacré, c’est lui qui a reçu à la Cité de l’architecture le 34e prix Pèlerin dans sa catégorie, en présence d’une grande partie de la rédaction du plus vieil hebdomadaire de la presse française, de Mgr Olivier Ribadeau Dumas, le nouveau recteur de N-D de Paris, et de Jean-Charles de Castelbajac, le créateur visionnaire et inspiré de la nouvelle paramentique de la cathédrale baptisée « le rayonnement ».
Christian Brunel-Laurent a annoncé aux nombreux participants une prochaine exposition aux Bernardins sur le renouveau de l’art sacré dans les années 1930, dont le haut-relief de Sainte Cécile en donnait un avant-goût.