Recenser les orgues pour mieux les faire connaître
Le saviez-vous ? Avec l’Allemagne et les Pays-Bas, la France est le pays qui compte le plus d’orgues. Environ 10 000 dont 1600 protégés au titre des monuments historiques. Le défi lancé par Orgue en France, en partenariat avec le ministère de la Culture, est de les recenser pour mieux les faire connaître. Le grand public a en effet rarement le loisir d’admirer ce roi des instruments dans son intégralité. Il entend l’organiste mais ne voit pas son jeu sur les claviers. En se retournant sur son siège, il se contente d’apercevoir le buffet et les tuyaux.
Or, ce riche patrimoine à la fois mobilier et immobilier mérite d’être apprécié dans son intégralité. « En plus de mettre en avant la grande qualité de la facture d’orgue française, ce patrimoine offre un éventail complet de toutes les créations artistiques, témoins des écoles européennes à travers le temps », s’enthousiasme Philippe Lefebvre, président d’Orgue en France et titulaire du grand orgue de Notre-Dame de Paris.
Orgue de tribune de Saint-Germain L’Auxerrois à Paris (Crédit DR)
Plus de 8500 fiches classées par région
Le site inventaire-des-orgues.fr lancé à l’automne 2021 comprend plus de 8500 fiches, dont 2000 complétées à 100 % textes et images, offrant un ensemble d’informations : la localisation, l’historique, l’état, la description instrumental des jeux selon leur couleur (il en existe 1634 !), la qualité technique, les facteurs créateurs et restaurateurs de l’instrument… « Nous appuyant sur les centaines d’inventaires existants, nous avons mené un travail de bénédictin, souligne Gwilherm Poullenec, organiste à la cathédrale de Versailles et bénévole en charge du projet. Les sources sont très riches mais nombre de livres ne sont plus édités. Rien que pour l’Alsace, nous avons consulté 12 kilos de volumes ! »
Des centaines de livres d’inventaires ont donc été épluchés région par région, puis numérisés pour parvenir à un index général. À la suite de ce recensement, a été confié à un jeune développeur informatique, Bastien Guéry, la création d’une base de données afin d’établir une carte géographique et dynamique des orgues. La troisième étape a consisté à la création du site Internet. Son moteur de recherches pourvu de filtres permet de trouver les orgues près de chez soi, dans son département, selon le facteur qui l’a fabriqué…
Orgue de l’église Saint-Jean-Bosco à Paris (Crédit O. Tsokanakis)
Un site collaboratif
Le site n’est pas figé. De nouvelles fiches sont régulièrement créées, enrichies ou mises à jour. En effet, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, à la fois mobilier et immobilier, cet instrument bouge beaucoup ; du changement d’un pédalier à une restauration voire à un déménagement. Outre le fait qu’il soit accessible à tous, le site a la particularité d’être collaboratif. Que vous soyez mélomane, organiste ou tout simplement intéressé par l’instrument, vous pouvez apporter des précisions ou charger vos photos sur les fiches. L’accès est libre pour le contributeur. Il doit simplement s’authentifier. « L’apport de contributeurs est essentiel car l’accent a été mis sur l’image. Le texte est en effet périssable », précise Gwilherm Poullenec.
Capture d’écran du site inventaire-des-orgues.fr
Par contre, un contributeur ne peut créer une nouvelle fiche ni en supprimer une, par exemple si l’orgue a été détruit ou déménagé. Cet action est réservée aux administrateurs du site. « Cela permet de garantir une très bonne qualité des informations géographiques (nom de la commune et existence réelle suivant données Insee, de l’édifice, localisation de l’édifice sur une carte…) Il suffit au contributeur d’envoyer un message à contact@inventaire-des-orgues.fr, la fiche est en général créée dans la journée », poursuit le chef de projet. Cette mise en avant de l’image a également pour but de donner une approche positive de l’orgue, souvent considéré comme « poussiéreux ». « Nous espérons que cette interactivité avec la possibilité de poster des photos motivera les jeunes à utiliser leur smartphone ! ».
L’orgue de l’église Notre-Dame du Perpétuel Secours à Asnières-sur-Seine. (Crédit DR)
Un secteur de niche qui se rajeunit
« L’orgue est un objet d’art qui contribue à l’action culturelle. Ce n’est pas simplement une pompe à cantiques ! s’insurge Philippe Lefebvre, président d’Orgue en France. Depuis vingt ans, avec la désaffection des lieux de culte, cet instrument retrouve une place dans la société civile grâce en particulier aux concerts. » Le président, titulaire à Notre-Dame de Paris, est optimiste. Il précise qu’on dénombrait dans les années soixante 40 classes d’orgue pour 200 aujourd’hui.
Vue de l’orgue de l’église Saint-Jean-Bosco à Paris. (Crédit O. Tsokanakis)
Mis à part le célèbre facteur du XIXe siècle Aristide Cavaillé-Coll, peu de noms d’artisans sont connus du grand public. L’abbé Clergeau, Joseph Beuchet, la famille Thierry… ils sont pourtant nombreux à avoir œuvré le plus souvent sur les tribunes de chœur mais pas seulement. Après une indifférence pour l’instrument au milieu du XXe siècle, l’intérêt est relancé. « II a fallu attendre 1984 et les Journées nationales de l’orgue organisées dans le Nord/Pas-de-Calais (la même année que les premières Journées du Patrimoine) pour susciter à nouveau l’intérêt du public », remarque Isabelle Chave, sous-directrice des monuments historiques et des sites patrimoniaux.
La crise qu’a connue la profession des facteurs d’orgue dans les années 2000 est derrière elle. Le secteur a du mal à recruter. Il compte une soixantaine d’ateliers de trois à vingt salariés mais un seul centre de formation en Alsace. Avis aux amateurs !
L’orgue installé il y a quelques années dans l’église Sainte-Jeanne-d’Arc à Versailles provient des studios de Radio France. (DR)