Ensemble, préservons le patrimoine religieux

« Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France » Un patrimoine vivant à valoriser

Plus de trente ans après la décision de l’Unesco d’inscrire à son Patrimoine mondial les « Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France », les initiatives se multiplient pour valoriser le patrimoine qui compose ce « bien en série ». Pourtant, les récits de pèlerins oublient le plus souvent la dimension universelle de cet ensemble exceptionnel et n’évoquent pas les lieux qui les jalonnent. Des lieux pourtant vivants, dont la restauration a souvent un impact qui dépasse l’édifice lui-même.

L'humain au cœur du chemin

Ils ont marché jusqu’à Saint-Jacques ! Jean-Christophe Ruffin en a fait un livre Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi, qui raconte son expérience, ses émotions, ses rencontres… « Le chemin est une alchimie de l’âme » confessait l’académicien dans un hors-série de Pèlerin. Jean-François-René Duchâble soulignait « (qu’il) ne s’agissait pas d’une démarche spirituelle. À 60 ans, j’avais simplement envie de relever un défi ». Tous les témoignages de ces marcheurs (plus de 300 000 de 184 nationalités chaque année), célèbres ou inconnus, évoquent la fraternité, l’humilité, les contacts, la douleur aussi, la patience, la constance. Cette dimension humaine est au cœur de leurs récits.

Marcheurs devant le tympan de l’abbaye Sainte-Foy de Conques (Crédit ACIR JJ Gelbart)

Mais l’aspect patrimonial, architectural, historique, artistique et même religieux – tout ce qui fait la valeur universelle des Chemins – est, la plupart du temps, omis. « Au contraire, dans les années soixante, raconte Sébastien Penari, en charge du développement scientifique et culturel à l’Agence des Chemins de Compostelle, les documentaires qui traitaient de la route de Saint-Jacques ne traitaient que de l’aspect architectural religieux et de l’art roman ». Les Chemins sont à vivre sous ce double focus humain et patrimonial. « C’est un bien complexe, matériel, qui illustre l’immatériel (les croyances, rites, pratiques). »

Une valeur exceptionnelle universelle

Le 2 décembre 1998, l’Unesco a inscrit sur la Liste du patrimoine mondial le bien culturel « Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France ». Cette reconnaissance rappelle la valeur universelle exceptionnelle de cet ensemble qui constitue un bien culturel en série : une collection d’éléments considérés par l’Unesco comme un bien unique.

Carte du bien en série «Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France» (SJC)

Ce bien français (n°868 de la Liste) est constitué d’une sélection de 78 éléments : 71 édifices et 7 sections de sentiers (les tronçons du chemin du Puy-en-Velay couvrant 160 km). Ces éléments sont répartis dans 10 régions, 32 départements et 95 communes pour évoquer l’ampleur géographique des itinéraires. Cet ensemble témoigne des aspects spirituels et matériels du pèlerinage médiéval et de son contexte historique. Cela résume bien la diversité des itinéraires innombrables empruntés par les voyageurs.

Un parcours spirituel

Sans toutefois le reconstituer dans sa totalité, ce « bien en série » reprend le développement chronologique du pèlerinage entre le XIe et le XVe siècle dans sa diversité géographique. On perçoit ainsi le parcours spirituel du pèlerin rythmé par la visite des reliques des saints et les fonctions essentielles de l’architecture. Elle inclut 64 monuments et 7 ensembles. Autant de lieux qui jalonnent les quatre voies symboliques partant de Paris, de Vézelay, du Puy-en-Velay et d’Arles : des églises de pèlerinage citées dans le Codex Calixtinus*, des hôpitaux, de plus modestes sanctuaires consacrés à saint Jacques, à des saints ou à la Vierge, ou encore des ouvrages architecturaux.

« Ces lieux ont une dimension artistique multiculturelle. On retrouve des éléments architecturaux enrichis par différentes influences, mozarabe par exemple », souligne Sébastien Perani. « Parfois, poursuit-il, le comité de sélection s’est fondé sur les hypothèses de médiévistes: des pèlerins ont dû passer par là…. Ce bien culturel raconte la circulation des savoirs et des croyances. »

La voûte à l’entrée de l’hôpital des pèlerins à Pons en Charente-Maritime. (Crédit JJ Gelbart)

La sélection rappelle aussi que le périple du pèlerin était ponctué d’hôpitaux, lui apportant les soins et le repos, et comporte des ouvrages de franchissement comme des ponts facilitant son déplacement. Les édifices illustrent ainsi la satisfaction des besoins physiques et spirituels des pèlerins.

En 2018, un bel ouvrage, bénéficiant de la contribution de 66 auteurs, est sorti à l’occasion des 20 ans de la reconnaissance par l’Unesco**. Il rappelle en particulier l’importance des reliques au Moyen Âge. Celles-ci témoignent des vertus des nombreux saints qui jalonnent le pèlerinage à Saint-Jacques et prolongent leurs pouvoirs bienfaiteurs longtemps après leurs vies, réelles ou supposées.

De multiples initiatives

En octobre 2020, aura lieu la réunion du comité interrégional du bien du patrimoine mondial « Chemins de Saint Jacques de Compostelle en France », instance de gouvernance du bien national. Cette institution, placée sous la présidence du préfet d’Occitanie, réunit les maires ou responsables en charge des 78 composantes formant le bien du patrimoine mondial dans les 95 communes et les 10 régions concernées.

Église Saint-Jacques Ourdis-Cotdoussans, modeste église de campagne qui recèle un retable baroque. En ruines en 1979, grâce à l’inscription, elle a bénéficié d’une restauration totale dans les années 1990 (JJ Gelbart)

Depuis l’inscription, ce comité de coordination multiplie les initiatives autour de différents thèmes couvrant la double dimension humaine et patrimoniale. Il insiste en particulier sur les bonnes pratiques de valorisation des lieux, paysages et édifices, encourageant une signalisation d’interprétation. « L’enjeu depuis 5 ans est le rayonnement des lieux. Mettre un bien en capacité d’être compris, améliorer sa lisibilité et sa cohésion », insiste Sébastien Perani.

Il organise également des événements. Un colloque a par exemple eu lieu en février 2018 sur le thème « Marcher pour guérir ». Il rappelait que le patrimoine peut aider à soigner les individus et comment le beau y contribue.

Des leviers du développement local

Une autre composante importante mérite d’être soulignée dans le choix de la sélection. Celle qui met en lumière des chantiers de patrimoine, des lieux qui nécessitent ou ont eu l’opportunité d’être récemment restaurés.  On peut citer par exemple le sanctuaire médiéval de Saint-Gilles-du-Gard.

Travaux aux abords de la mairie de Saint-Gilles. (DR)

La restauration de ces édifices dépasse souvent le pur aspect patrimonial. Elle est un levier pour le développement local. « Les travaux réalisés sur l’église Notre-Dame-du-Port à Clermond-Ferrand ont permis à la municipalité de prendre conscience de l’importance de l’église dans un quartier vidé de sa substance », raconte Sébastien Perani. Les travaux menés de 2003 à 2008 ont été une première phase. Puis, la ville a raisonné sur un projet d’urbanisme de valorisation des abords dans la zone dite « tampon » protégée par l’Unesco.

Basilique Notre-Dame-du-Port à Clermond-Ferrand. Après la restauration de l’église déjà achevée, des travaux vont être menés en septembre 2020 dans la crypte et la sacristie.

« À la suite d’un concours, le groupement Linazasoro et Sanchez, architectes, a été choisi pour recréer un lien entre le monument et la ville », précise Pauline Reynard Desachy, responsable du Service de l’Administration Générale et du Patrimoine. De nouveaux points de vue panoramiques, un centre d’interprétation, et même un escalier et des murets en pierre ont été créés.  « Cette revalorisation du centre ancien a conduit à agir sur les façades, la lumière, le pavage… Un verger a même été conçu ! » poursuit Pauline Reynard Desachy. Associant divers services (culture, patrimoine, commerces…), la municipalité a parallèlement travaillé afin de rendre les rues commerçantes environnantes à nouveau attractives.

« Il s’agissait de rendre au quartier son attractivité d’antan du point de vue commercial et touristique. Une initiative originale avait été imaginée. Des vitrophanies, représentant des éléments de la basilique : Vierge à l’enfant, éléments architecturaux, intérieurs de l’édifice, avaient été collées sur les vitrines des commerces vacants visibles de la rue du Port,  afin d’attirer des candidats à la reprise. Depuis, plusieurs commerces, dont une boulangerie, ont redémarré une activité », relève la responsable du patrimoine.

Des témoins de la pratique du pèlerinage

Cette inscription sur la Liste du patrimoine mondial par l’UNESCO a fait suite à la reconnaissance par le Conseil de l’Europe des chemins de Saint-Jacques comme un itinéraire culturel fondateur d’une identité commune aux européens. Que vous partiez du Puy, sur une des sections de sentiers qui fait partie du « bien en série », ou de Vézelay, que vous vous arrêtiez à Conques ou dans un modeste sanctuaire dédié à Saint-Jacques, n’oubliez donc jamais dans vos récits de randonnée ces ouvrages architecturaux rencontrés sur les chemins. Ils ont en commun d’être les témoignages directs, conservés et transmis jusqu’à nous, de la pratique du pèlerinage telle qu’elle s’est déroulée en France durant le Moyen Âge.

Marcheur arrivant à la Domerie d’Aubrac. (S Vaissiere)

*Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France, patrimoine de l’humanité. J.J. Gelbart, paru en octobre 2018, 38 €

 

**Le Codex Calixtinus, manuscrit conservé dans les archives de la cathédrale de Saint-Jacques de  Compostelle, a été composé vers 1130. Il fonde le culte et le rayonnement du sanctuaire galicien. Le Codex Calixtinus attribue la découverte du tombeau de saint Jacques à l’empereur Charlemagne « vision dans laquelle l’apôtre lui aurait montré le chemin d’étoiles à suivre pour aller délivrer son tombeau des mains des infidèles ».

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