Ensemble, préservons le patrimoine religieux

La chapelle Saint-Joseph, lieu de mémoire

La démolition programmée de l’ancienne chapelle du collège des jésuites à Lille pose la question de la réhabilitation des églises selon leur intérêt patrimonial. Elle met également en lumière l’attachement à ces édifices, lieux de mémoire. En Île-de-France, très peu d’édifices sont démolis. S’ils le sont, un autre projet voit le jour…

Démolition de la chapelle Saint-Joseph

Alors que l’église Saint-Joseph-le-Bienveillant à Montigny-Le-Bretonneux (78) est en plein développement, une autre chapelle « Saint-Joseph » devrait bientôt disparaître. Son sort a été scellé par la décision du tribunal administratif de Lille de rejeter fin décembre 2020 le recours en référé présenté par l’association Urgences patrimoine contre sa démolition. Sur avis de l’Architecte des Bâtiments de France, le ministère de la culture en la personne de Roselyne Bachelot avait en effet rejeté la demande de classement de l’édifice estimant que le bâtiment « ne présentait pas un intérêt patrimonial suffisant ». Alerté entre autres par Stéphane Bern, l’ancien ministre de la culture Franck Riester avait pourtant, en juin 2020, prononcé un sursis et annoncé « une instruction complémentaire » pour analyser comment sauver l’édifice ».

La chapelle sera détruite pour permettre le développement du campus de la Catho de Lille. (DR)

« Le permis de démolition a été accordé par la mairie de Lille en mai 2019, souligne Alexandra Sobczak-Romanski, présidente d’Urgences patrimoine. Je n’en ai malheureusement eu connaissance qu’en mai 2020 ». L’association avait alors lancé une pétition, sans effet réel…

Cette déconstruction entre dans le cadre du projet d’un nouveau campus conduit par Junia (ex-Yncréa Hauts-de-France), grande école d’ingénieurs et membre de la fédération universitaire pluridisciplinaire de Lille (la FUPL, dite « la Catho »). À hauteur de plus de 120 millions d’euros, il permettrait à l’École de se développer à l’international en augmentant sa capacité d’accueil de 5 000 à 8 000 étudiants, tout en créant de nouveaux espaces d’enseignement et de recherche. La direction de Junia s’est engagée à « sauver tout ce qui peut l’être » en restaurant des vitraux et autres éléments de décor dont l’autel, des tapisseries…

Le désamour du XIXe

Au cœur du quartier Vauban à Lille, l’ancienne chapelle du collège des jésuites, bâtie en 1886 par l’architecte Mourcou, a été désacralisée il y a une vingtaine d’années. Elle forme un ensemble avec le palais Rameau, œuvre du même architecte, mais qui, lui, étant classé sera restauré dans le cadre du projet du campus pour environ 20 millions. « Cette église, précise Mathieu Lours*, un autre défenseur de la sauvegarde de Saint-Joseph, historien de l’architecture religieuse* et enseignant en histoire de l’art à l’université de Cergy-Pontoise, a un véritable intérêt patrimonial ! Ce n’est pas du tout une église « neo », c’est un édifice éclectique avec un  intéressant traitement des matériaux. Le recours à la brique évoque les basiliques de Ravenne avec une influence orientale. Son architecture est d’une grande intelligence et si elle n’est pas unique en son genre en France, elle a vraiment un sens au sein de la ville de Lille ».

*Auteur de « Églises en ruine – Des invasions barbares à l’incendie de Notre-Dame » (Ed du Cerf)

Vue intérieure de la chapelle Saint-Joseph à Lille. (DR)

Grand spécialiste du patrimoine religieux, Mathieu Lours soutient les édifices du XIXe siècle souvent considérés comme des pastiches alors que « ce patrimoine récent est un art de la référence ». Pour l’historien « il y a une priorité à le défendre car il a une fonction mémorielle très importante. » Il suggère la création d’un label, comme cela a été le cas pour les édifices XXe .

Mathieu Lours se désole que « les églises brûlent des flammes de l’indifférence ». Il poursuit : « seules les têtes de gondole médiatiques qui peuvent lui apporter une réelle visibilité intéressent le grand mécénat ». Il suggère qu’il en va de la responsabilité des pouvoirs publics de rediriger ce mécénat et appelle de ses vœux la refondation du Comité du patrimoine cultuel au ministère de la culture, dissous en 2015.

[ÉCOUTER] Sur Radio Notre-Dame « Le patrimoine religieux est-il menacé? » (émission du 13 janvier 2021) avec Mathieu Lours et Jérôme Tolot

Architecture contemporaine et réhabilitation

« Le patrimoine du XXe siècle est plus apprécié, note l’historien. C’est le siècle de la modernité, de la France actuelle, de la libération des formes avec Le Corbusier et l’influence du Bauhaus ». Les cas de déconstruction en Île-de-France, et même en France, d’édifices religieux contemporains sont très rares. Dans le cas où la démolition est inévitable, souvent à la suite d’un arrêté de péril, l’église est dans la plupart des cas reconstruite. Notre-Dame du Rosaire aux Lilas a été rebâtie en 2009 (Enia architectes). Tout comme Saint-Pierre à Alfortville, en 2008, par Michèle Roblot : elle présentait des défauts de construction graves. Parfois l’Église y est également contrainte pour des raisons impérieuses de réaménagement du territoire, dans le cadre du Grand Paris par exemple. Cela donne alors lieu à une reconstruction : en cours, la future église Saint-Jean-XXIII à Clichy-sous-Bois.

Vue intérieure de la nouvelle église Saint-Jean-XXII à Clichy (Philippe et Olivier Roux)

Des exemples de réhabilitation, adossés à une création architecturale, ont également été récemment menés à bien. On peut citer la réhabilitation de Notre-Dame de l’Ouÿe (conduite par Enia architectes pour le diocèse de Paris).

Les émotions patrimoniales

Hadrien Delépine est étudiant en master 2 à l’École du Louvre. Il a choisi comme thème de son mémoire : « Les émotions patrimoniales », prenant pour illustration le cas de la chapelle Saint-Joseph. « Ces réactions spontanées montrent un important lien territorial et identitaire avec le patrimoine, témoin du passé. On peut penser aussi au cas de la destruction de l’église Saint-Jacques à Abbeville en 2013 qui avait marqué les esprits. ».

D’autres sont préservées ou transformées… Mathieu Lours évoque l’église Saint-François-d’Assise de Vandœuvre-lès-Nancy, dont la construction avait démarré en 1958, sous la direction de l’architecte Henri Prouvé , et qui a failli être transformée en centre commercial… Elle a finalement été conservée au culte. D’autres sont affectées à d’autres usages comme l’église de Saint-Paul de Laxou (Pierre Mazerand, 1965) qui a perdu sa vocation cultuelle en 1999 pour être transformée en centre culturel.

« C’est toujours un déchirement pour les communautés chrétiennes de se séparer de leur église », se désole Mathieu Lours. Cela explique la création de très  nombreuses associations de défense et la générosité des catholiques pour leur église, et plus largement des habitants, conscients de l’importance des travaux de préservation. On compte 1951 édifices appartenant aux diocèses en France, dont 456 en Île-de-France, édifiés depuis 1905.

La Cène, bas-relief de la chapelle Saint-Joseph à Lille. (DR)

Créateurs d’avenir

Fidèle à l’accroche du site d’Urgences patrimoine, « Passeurs de mémoire, créateurs d’avenir », Alexandra Sobczak-Romanski défend toujours l’idée d’une réhabilitation. « Il faut réinventer la chapelle Saint-Joseph ! » On pourrait très bien imaginer un nouvel usage, dans le respect du lieu. » Grâce au soutien d’un mécène, l’association va se pourvoir en cassation. Un autre espoir pour les amoureux de la chapelle, une lettre formulant une demande de grâce envoyée au président Emmanuel Macron…

Vue de la chapelle Saint-Joseph à Lille. (DR)

Podcast

PODCAST « Le patrimoine religieux est-il menacé? »
13.01.2021 Article

PODCAST « Le patrimoine religieux est-il menacé? »

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