Deux expositions parisiennes et un musée à Rodez
Vitraux du déambulatoire de l’abbatiale Sainte-Foy de Conques créés par Pierre Soulage avec le maître verrier Jean-Dominique Fleury © A.Causse
Dans le prestigieux Salon Carré du musée du Louvre, situé entre la Galerie Apollon et la Grande Galerie, est présentée de façon chronologique la carrière de Pierre Soulages, de 1946 à aujourd’hui. Certaines toiles produites il y a quelques mois seulement sont exposées. L’exposition témoigne de la continuité de son œuvre liée par la volonté de faire surgir la lumière par contraste entre la couleur noire et les parties claires. L’artiste souligne dès 1948 : « Une peinture est un tout organisé, un ensemble de formes (lignes, surfaces colorées…) sur lequel viennent se faire et se défaire les sens qu’on lui prête».
Un des commissaires de l’exposition rappelle sur le site du musée du Louvre que l’artiste a « dès ses débuts opté pour une abstraction totale. Par les matériaux qu’il emploie (brou de noix, goudron…), par ses outils qui renvoient plutôt à ceux des peintres en bâtiment, par son choix d’identifier ses toiles par la technique, les dimensions et la date de réalisation, plutôt que d’orienter la vision par un titre, il a adopté une position singulière ». C’est Pierre Soulages lui-même qui en 1979 propose le néologisme d’outrenoir. Au contraire d’une œuvre monochrome, « ce sont des différences de textures, lisses, fibreuses, calmes, tendues ou agitées qui, captant ou refusant la lumière, font naître les noirs gris ou les noirs profonds ».
Sept ans de travail au service de l’architecture
La salle du musée Pierre Soulages de Rodez consacrée aux dessins préparatoires des vitraux de l’abbatiale Sainte-Foy à Conques. © RCR – photothèque Rodez agglomération photo Jean-Louis Bories
Un autre musée rend hommage au travail de Pierre Soulage, celui de Rodez, sa ville natale. En ses murs est présenté son travail sur les 104 vitraux qu’il a créés pour l’église Sainte-Foy de Conques dans le cadre d’une commande publique passée par le ministère de la Culture en 1986. L’ensemble, réalisé avec le maître verrier Jean-Dominique Fleury, a été inauguré le 26 juillet 1994 après sept ans de travail. Pierre Soulages raconte que c’est la découverte de ce chef-d’œuvre de l’art roman occidental sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, qui a déterminé son choix de se consacrer à la peinture : « Lorsque j’ai eu quatorze ans, c’est devant l’abbatiale de Conques que j’ai décidé que, seul l’art m’intéressait dans la vie (…). Conques est le lieu de mes premières émotions artistiques ».
Pierre Soulages a été le premier artiste avec qui a travaillé Jean-Dominique Fleury. Après, le maître verrier a eu l’occasion de collaborer avec de nombreux autres artistes dont Marc Couturier, Martial Raysse pour l’église Notre-Dame-de-l’Arche-d’Alliance à Paris ou Françoise Bissara pour l’abbaye de Fontmorigny… Cette dernière a également œuvré pour la cathédrale Notre-Dame de Créteil.
Jean-Dominique Fleury se souvient : « L’église Sainte-Foy de Conques est un lieu hors du monde. Que cela soit un cloître, une petite église romane, une abbatiale… avant de découvrir un espace, on habite un lieu où règne l’harmonie. Quand on est sur les échafaudages ou sur la terrasse d’une cathédrale, c’est pareil. Avec les compagnons de mon atelier, nous sommes restés une dizaine d’années à la cathédrale Saint-Just de Narbonne. De ses terrasses, on voit la mer, on voit arriver les tempêtes avant tout le monde. C’est une impression incroyable et… on a juste le temps de redescendre. »
Des vitraux blancs comme l’albâtre
Croquis préparatoire aux vitraux de Conques. © Documentation musée Soulages Rodez
Les habitants comme les frères prémontrés étaient par principe contre le projet. Nul n’imagine maintenant critiquer les vitraux « blancs » de Pierre Soulages. Ceux-ci étaient destinés à remplacer des panneaux historiés et polychromes mis en place après la Seconde Guerre mondiale. « Croyants ou non croyants, tout le monde est abasourdi par le résultat », s’enthousiasme la maître verrier. Le duo s’est attaché à magnifier l’architecture de cette grande église à déambulatoire et chapelles rayonnantes par l’ordonnancement de la lumière. « Cet édifice massif a la particularité, souligne Jean-Dominique Fleury, d’être extrêmement haut tout en étant très court avec simplement quatre travées. Il possède en outre un nombre étonnant d’ouvertures avec 95 fenêtres et 9 meurtrières. Pierre Soulages notait ainsi « l’importance de l’organisation de la lumière dans ce bâtiment ».
Le cahier des charges de la Drac était très précis. « Nous devions utiliser du plomb, du verre, et une structure de barbotières traditionnelle. Une beaucoup plus grande liberté est aujourd’hui laissée aux artistes qui peuvent laisser libre cours à leur imagination : technique de Thermoformage, impression à froid… »
La magie chromatique de la lumière
Ce verre composé de petits fragments est translucide mais non transparent. ©G.Tordjeman2017GF-OTCM
Pierre Soulages souhaitait pour ses vitraux retrouver la blancheur de l’albâtre qui ne laisse pas passer le regard. « Autrefois, notamment en Espagne les petites églises romanes étaient vitrées avec de l’albâtre, un matériau translucide », précise le maître verrier. Après des centaines de recherches et d’essais, le verre particulier choisi pour les 104 vitraux de Conques a été fabriqué en Allemagne dans le village de Rheine près de Munster. « Ce matériau est constitué de petits éléments de verre coagulés et créé une diffraction de la lumière avec des intensités différentes. En fonction de l’ensoleillement, on obtient une luminosité colorée qui transparait ». Cette magie chromatique s’est révélée au fur et à mesure de l’installation de par la matière même de ce verre.
L’appareillage des pierres de l’abbatiale participe à cette polychromie. Son architecture est en effet constituée de schiste gris bleuté, de calcaire ocre clair et de grès rosé.
« Dès le début, je n’ai été animé que par la volonté de servir cette architecture telle qu’elle est parvenue jusqu’à nous, en respectant la pureté des lignes et des proportions, les modulations des tons de la pierre, l’ordonnance de la lumière, la vie d’un espace si particulier. Loin de tout Moyen-Âge reconstitué, imité ou rêvé, j’ai cherché, avec des technologies de notre époque un produit verrier en accord avec l’identité de cette architecture sacrée du XIe siècle et de ses pouvoirs d’émotion artistique », soulignait Pierre Soulages.
Jean-Dominique Fleury conclut en insistant sur l’architecture globale du lieu invitant à découvrir ces 104 vitraux in situ. « On ne peut pas réduire l’ensemble de la lumière de l’abbatiale à un effet. Il est impossible sur des images photographiques de retranscrire quelque chose qui est de l’ordre de l’émotion. »
L’abbatiale Sainte-Foy de Conques dresse sa haute silhouette @JE.Cassagnole-OTCM