Une substance soumise à autorisation
À la demande de la Suède, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) serait susceptible d’inclure le plomb dans l’annexe XIV (liste des substances soumises à autorisation d’utilisation et de manipulation) du règlement REACH. Ce pays d’Europe du Nord est certes, moins concerné que la France, qui possèderait la plus grande surface de vitraux dans le monde, soit 90 000 m2. « Les pays du Nord sont beaucoup moins riches en termes de patrimoine vitré ; ils sont par contre particulièrement sensibles aux questions écologiques et environnementales », souligne Bruno Loire, des Ateliers Loire, conseiller à la Chambre syndicale nationale du vitrail et adhérent au Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques (GMH). « Cette demande de leur part peut se comprendre mais, moins concernés du point de vue patrimonial, ils ne sont pas conscients de l’impact qu’une interdiction aurait sur notre profession ».
Bruno Loire, maître-verrier dans son atelier (Ateliers Loire)
Le taux dans le sang et l’usage
Deux consultations publiques ont été lancées par l’Union européenne et menées par l’ECHA du 2 février au 2 mai 2022. La première concernait le taux de plomb dans le sang des salariés et la deuxième, l’usage du plomb en tant que matière. Le résultat de ces consultations sera transmis à la Commission environnement de l’Europe. « Parallèlement, une pétition a été lancée par la profession sur change.org pour sensibiliser le public à cette interdiction. À ce jour, 9772 soutiens l’ont déjà signée », précise Jean Mône, président de la Chambre syndicale du vitrai et directeur de l’atelier Vitrail-Saint-Georges à Saint-Genis-les-Ollières dans la région lyonnaise. Élus, ministère de la Culture, architectes des Bâtiments de France…, le maître-verrier constate par ailleurs une mobilisation importante des pouvoirs publics.
Le président revient sur la raison de cette inscription à l’annexe XIV du règlement REACH. « Nous sommes victimes d’un dommage collatéral ! Cette inscription est liée à l’utilisation du plomb dans les batteries qui représente 90 % de son emploi en Europe. Aux dernières nouvelles, la commission reconnait les conséquences pour le patrimoine mais du fait de la dangerosité, elle préconise une utilisation uniquement en milieu industriel. Or, aucune industrie n’est capable de restaurer des vitraux ! Le pire étant que les industries pourront continuer à utiliser ce matériau » D’où, l’enjeu d’obtenir une dérogation.
Remise en plomb sur un vitrail ancien, les baguettes en plomb pourraient être interdites dans les prochaines années.(Crédit Ateliers Loire)
Un matériau sans équivalent
Car, le plomb est un matériau absolument indispensable tant pour la création que pour la restauration des vitraux. Ses qualités uniques de souplesse permettant d’épouser les contours du verre, de durabilité, de résistance n’ont à ce jour pas d’équivalent. Le plomb se présente sous forme de baguettes d’environ deux mètres de long qui se découpent très facilement au ciseau à froid.
Détail de mise en plomb d’un vitrail. (Crédit Atelier Loire)
Malgré les études menées par le Centre européen de recherches et de formation aux arts verriers (CERFAV) à Vannes-le-Châtel, en Meurthe-et-Moselle, aucun produit de substitution n’a encore été trouvé. « Si un matériau est trouvé, il pourra être utilisé pour créer des vitraux contemporains mais en aucun cas pour la restauration ! », s’insurge Bruno Loire. « Déontologiquement, il serait aberrant de ne pas respecter le plomb originel. De plus, il faudrait que ce produit ait exactement les mêmes caractéristiques physiques et chimiques pour être assemblé et soudé avec les matériaux anciens ».
Restauration de vitraux anciens. (Ateliers Loire)
Selon le maître-verrier, « les vitraux nécessitent une restauration environ tous les 100 ans à 150 ans, sans compter les tempêtes ou le vandalisme ! ». Outre les vitraux emblématiques des cathédrales de Chartres, de Bourges et bien sûr de Notre-Dame de Paris ou de la Sainte-Chapelle, presque toutes les églises de France sont concernées. C’est également le cas pour nombre d’édifices religieux du XXe siècle à la charge des diocèses, particulièrement en Île-de-France. Le besoin de restauration se fait donc de plus en plus important. Récemment les Ateliers Loire sont intervenus sur l’important ensemble verrier de Sainte-Thérèse à Boulogne-Billancourt ou de Sainte-Marie-des-Vallées à Colombes (Hauts-de-Seine). On peut citer également la rénovation récente de l’église Saint-Paul de l’Haÿ-les-Roses / Fresnes (Val-de-Marne) et de bien d’autres encore.
La création serait également pénalisée
De nouvelles techniques sont développées dans les quelques 450 ateliers que comptent la France, comme la dalle de verre, le fusing ou le thermoformage, mais selon Bruno Loire, « la technique traditionnelle du verre serti par du plomb permet une expression artistique et notamment un graphisme que l’on ne peut obtenir avec les autres techniques. C’est comme si vous disiez à un peintre, on interdit la peinture à l’huile mais vous pouvez utiliser l’aquarelle ou la gouache ! ». Les réalisations récentes d’envergure conçues par les Ateliers Loire utilisent la méthode traditionnelle au plomb. Deux vitraux de 11 mètres de haut viennent d’être réalisés respectivement pour le palais du Facteur Cheval à Hautervives (Drôme) dans le cadre de l’exposition « Le rêve de l’eau » de l’artiste Jean-Michel Othoniel et pour une façade d’immeuble à Chartres créé par Jacques Loire, disparu il y a un an.
Création de Hervé Loire (Ateliers Loire) pour l’église Saint-Joseph à Villeneuve-la-Garenne (94). Un projet financé par les Chantiers du Cardinal (Crédit Ateliers Loire)
Pour les Chantiers du cardinal, les Ateliers Loire ont conçu les vitraux de l’église Saint-Joseph à Villeneuve-La-Garenne (Hauts-de-Seine). L’œuvre a en effet toujours encouragé l’art sacré dont le vitrail est un des éléments phares avec le mobilier liturgique.
Chapelle St Bernard du Montparnasse à Paris, création de Jacques Loire (Ateliers Loire)
Les artisans prennent toutes les précautions nécessaires
La toxicité de ce matériau est connue et reconnue par les professionnels qui depuis longtemps prennent toutes les précautions nécessaires. « Le plomb utilisé dans les vitraux contemporains est inséré entre les deux verres d’un double vitrage, il n’y a donc aucun danger pour la population et l’environnement », souligne Bruno Loire. Le maître-verrier relativise par ailleurs la dispersion du plomb dans l’air. « On ne peut pas comparer avec le carburant plombé avec lequel on a roulé pendant des dizaines d’années. Nous utilisons des baguettes de plomb épaisses qui ne diffusent aucunement de particules fines dans l’atmosphère ».
Même si aucun cas de saturnisme n’a été constaté dans les ateliers, la profession est consciente des risques et particulièrement vigilante avec des tests sanguins pratiqués régulièrement. Un protocole scrupuleux est également mis en place : système d’extraction et masques pour la poussière, équipements de protection, combinaisons, charlottes…
Montage au plomb en atelier pour la création de Jacques Loire, chapelle Saint Bernard du Montparnasse à Paris. (Crédit Ateliers Loire)
Revenir au temps des tacherons
Jean Mône souligne l’impact non seulement économique mais également social qu’une mise à l’index aurait. Interdire le plomb en Europe n’empêchera pas qu’il soit utilisé hors des frontières. « Nous pouvons craindre deux conséquences pour les ateliers qu’aurait une interdiction : une externalisation de notre savoir-faire hors de la France et de l’Europe et une régression sociale importante pour nos salariés. »
Selon les règles imposées par l’Europe, le taux de plomb doit être actuellement de 700 microgrammes par litre de sang. « Or, souligne Jean Mône, il est en moyenne dans les ateliers de 300 microgrammes pour les femmes et 400 pour les hommes. Ce taux baisse régulièrement grâce au port du masque et de gants. La recommandation de l’ECHA est dans l’avenir d’imposer dans les ateliers un taux de 150 pour tout le monde et de 45 pour les femmes en état de procréer. C’est absolument ingérable ! ». 60 % des salariés sont en effet des femmes. « Si cette mesure est mise en place, les employés seront contraints de quitter les ateliers et de s’installer à leur compte comme sous-traitants. Ils cotiseront moins pour la santé, la retraite… Ils redeviendront des tacherons comme au XIXe siècle. De plus, indépendants, ils n’auront plus d’obligation à surveiller leur taux de plomb… »
Détail d’un vitrail sur une table lumineuse lors de sa restauration (CDC)
D’autres secteurs concernés
Soutenus par de nombreux élus, ministres et architectes des Bâtiments de France, les vitraillistes sont extrêmement mobilisés et restent confiants dans l’obtention d’une dérogation. La profession n’est toutefois pas la seule à être concernée par une exception éventuelle. Les couvreurs chargés de nombre de toitures parisiennes – dont celle de Notre-Dame ou certaines parties de celle de la cathédrale de Chartres-, les facteurs d’orgues, les chasseurs pour la grenaille… Chaque profession a répondu séparément aux deux consultations mais un dialogue s’est établi pour le bien commun.
Arielle de Sainte-Marie
Hervé Loire (Ateliers Loire) sur le chantier de l’église Sainte-Thérèse à Boulogne-Billancourt. Tous les professionnels utilisant du plomb sont concernés par cette interdiction. (CDC)